Planification et élaboration des prix : comment Biocoop Scarabée travaille avec les maraîcher-ère-s locaux-ales ?

Sur le rayon « Fruits et légumes » : comment s’élabore un prix à Biocoop Scarabée ? Hughes Van Kriekinge, référent sur ce rayon, nous explique cette recherche permanente d’un prix juste, et l’organisation de la planification avec les fournisseur-euse-s locaux-ales. Un entretien réalisé en décembre 2018, dans le cadre d’un dossier consacré aux dessous de nos prix.

légumes, sur le rayon fruits et légumes du magasin de Vasselot.

Hughes, Comment estimes-tu un prix d’achat aux fournisseurs ?

Le nerf de la guerre c’est : « qu’est-ce qu’un prix juste » ? Aujourd’hui, nous achetons en direct auprès de 40 producteurs de fruits et légumes. Un même produit peut être acheté auprès de 4-5 fournisseurs différents, au même moment, sur plusieurs magasins. Il faut donc que ce prix soit cohérent. Et qu’il soit également cohérent, commercialement, en magasins. Pour cela, plus j’ai d’éléments pour comparer et analyser, mieux c’est !

Sur quels éléments te bases-tu ?

Je prends d’abord en compte un seuil de rentabilité pour les producteurs, je dialogue avec eux. Ce dialogue est là depuis longtemps à Scarabée , il faut rappeler que nous sommes un des premiers magasins Biocoop à avoir organisé la planification de la production avec les maraîchers locaux. Certains de nos fournisseurs historiques, comme Jean-Paul Gabillard ou Arnaud Daligault, sont investis dans les organisations de producteurs (1). Ils ont une technicité et une connaissance du terrain. Avant, nos fournisseurs ne savaient pas forcément calculer leurs prix de revient ; c’est difficile : cela dépend du nombre de salariés, de l’usure du matériel, des investissements… Au quotidien, cela demanderait un travail de fourmi. En général, nos maraîchers s’y retrouvent davantage en suivant leur chiffre d’affaires annuel. Certains sont désormais en mesure de calculer des seuils de rentabilité assez précis. De savoir quelle quantité de carotte-botte ou de petits pois il faut récolter au mètre carré et à l’heure pour que ce soit rentable.

Il y a des légumes « basiques », qu’il est relativement aisé de produire malgré des conditions climatiques aléatoires. Les courges, les pommes-de-terre, les oignons, par exemple, en hiver. Sur ces produits-là, le coût de revient est relativement stable d’année en année. Les augmentations que l’on va observer sont davantage impactées par la hausse du coût de la vie. On peut, sur ces produits, s’appuyer sur le cours des prix national.

Et pour les autres produits, en dehors de ces « basiques »?

Pour des produits plus complexes, comme les tomates ou les carottes-bottes : on ne peut pas se limiter à comparer avec la mercuriale (ndlr : l’offre du jour) de Rungis, qui va donner le prix d’achat de la « tomate ronde » à 1,50 euros… Il faut tenir compte de la taille de l’exploitation, de l’outillage ; et, bien sûr, de la variété de la tomate, sa qualité gustative. A nous, ensuite, de communiquer sur cette qualité en magasins.

Au-delà de ce seuil de rentabilité, la deuxième chose que je prends en compte, ce sont les relevés de FranceAgriMer (2), qui donnent les cours des prix du marché de gros ou de détail. Ces relevés hebdomadaires définissent un prix minimum et maximum, à partir d’un immense « sourcing » au niveau national.

Je regarde également, chaque semaine, les cours de Bio Rungis, Bio Nantes, Bio France Gros. Et, évidemment, on regarde aussi les prix de la mercuriale de notre plate-forme d’achat Biocoop. L’idée n’est pas de se fier aveuglément aux données accessibles, mais de dégager une tendance au niveau des marchés, pour la période en cours.

Au-delà de toutes ces infos, je prends également en compte, dans l’échange avec les producteurs, l’évolution du coût de la vie, l’usure du matériel, les incidents techniques, le coût salarial pour les producteurs, ou les aléas climatiques comme une mauvaise récolte.

En tout début de saison, je les appelle pour avoir leurs premières réactions. Exemple : on se réunit avec les arboriculteurs au mois de juin, en période de floraison. Car ils savent, déjà, ce qu’ils auront dans les arbres. Je souhaite faire confiance à ce qui se passe sur le terrain. Nous sommes dans une relation de confiance, qui se construit dans la durée.

En dehors de ces aléas, on ne peut pas se permettre d’être 1 euro plus cher que le prix du marché. Quand nous avons un prix plus élevé, il faut pouvoir l’argumenter ; et si on est trop « décroché » : on peut avoir tous les arguments du monde, ça ne marche pas !

Qui propose concrètement le prix ? Toi ou les producteurs?

C’est moi ; je peux rapidement avoir accès à l’historique des tarifs via notre logiciel de gestion. Certains producteurs font référence sur un produit, car ils en produisent depuis de nombreuses saisons et qu’ils le maîtrisent techniquement. Je les appelle, ils me donnent leur avis ; je garde le prix qui est au juste milieu, et le propose à l’ensemble des producteurs. Il y a discussion, aussi, car je suis là pour défendre le commerce en magasins. Cela demande de la transparence, des deux côtés.

On ne peut pas laisser un producteur faire son prix sans cette concertation collective : un producteur proposerait ses poireaux à 1 euro, un autre à 2 euros : ce ne serait pas juste ! On décide du prix ensemble.
Par contre, lorsqu’un fournisseur est en difficulté parce qu’il a un surplus : on va organiser une promo sur les magasins qu’il livre, afin qu’il ne reste pas avec de la marchandise sur les bras. à ce moment-là, il nous semble important de le soutenir.

Cela se passe comment, la réunion de planification annuelle avec les maraîchers, à Scarabée ?

Le prix est désormais discuté tout au long de l’année, particulièrement à chaque début de saison.

Pour la planification : je sors les statistiques de vente, je les analyse, ce qui permet de faire ensemble des prévisions. Mais l’engagement reste oral : on ne peut aller au-delà de ces prévisions, ni nous, ni eux. Cela permet cependant de voir si on peut encore planifier un nouveau producteur ; ou si il y en a trop sur un même produit. C’est aussi l’occasion de faire un bilan de campagne avec chacun ; si un maraîcher m’annonce qu’il arrête de faire du chou rouge, je construis la suite en fonction.

Nous essayons également de prendre en compte l’aspect géographique, de planifier un producteur sur un magasin se situant le plus près possible du lieu de production, et sur suffisamment de produits au même moment afin que sa livraison soit cohérente.

On parle là du prix d’achat. Et le prix de vente, comment le construis-tu ?

Là aussi, je peux m’appuyer sur les relevés de FranceAgriMer. Si on regarde un exemple aujourd’hui (ndlr : le 11 décembre) , dans la rubrique « Bio magasins spécialisés » : la carotte lavée est entre 1,85€ et 2,99€, donc 2,33€ en moyenne. à Scarabée aujourd’hui : nous sommes à 2,30€ pour les carottes en local. Prix auquel il faut déduire la remise sociétaire de 5%, dont bénéficient plus de 80 % de clients. On peut l’oublier, mais c’est le prix public qui est annoncé dans nos rayons fruits et légumes, prix sans la remise. Un client sociétaire, aujourd’hui, achète le kilo de carotte lavée à 2,19€. Mais il ne le voit que sur son ticket de caisse, pas en rayon.

Peux-tu nous dire sur quels produits Scarabée baisse sa marge, pour les mettre en avant ?

On baisse nos marges en priorité sur le local, les produits de cœur de saison ; et sur les produits de base, comme les carottes, pommes-de-terre, poireaux, par exemple, en hiver. On l’augmente sur les produits de niche, et les produits d’import, Italie et Espagne pour la plupart ; en tout début ou fin de saison, ou en cas de ruptures.

L’idée est de favoriser l’économie locale, les circuits courts et d’encourager le travail qualitatif de nos fournisseurs.

Il s‘agit de concilier la partie « achat », qui consiste à rémunérer le producteur par un prix juste ; et la partie « vente », où on veut proposer une bio de qualité à un prix qui soit le plus accessible possible.

(1) Jean-Paul Gabillard est trésorier de la FNAB (Fédération Nationale d’Agriculture Biologique). Arnaud Daligault est président d’Agrobio 35, Groupement des Agriculteurs Bio d’Ille et Vilaine.

(2) FranceAgriMer, établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, exerce ses missions pour le compte de l’État, en lien avec le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

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