Consommer autrement

Portrait : Avelenn, paysans distillacteurs

Alice Lesteven et Olivier Guilleux fabriquent des huiles essentielles et hydrolats à partir de plantes aromatiques qu’ils cultivent eux-mêmes, à Saint Jacut-Les-Pins, près de Redon. Rencontre avec Alice, qui partage avec nous l’histoire et la démarche d’Avelenn, « La caresse du Vent ».

Avelenn

La Tremblaie
56220 Saint-Jacut-les-Pins

Quand a démarré Avelenn ?

Pour moi en 2010-2011, lors d’un stage dans une distillerie, dans les Alpes de Haute Provence, qui distillait principalement de la lavande fine. Je récoltais et distillais des plantes sauvages là-bas – lavande, sarriette, thym – que je revendais en Bretagne. Je suis originaire de Saint-Jacut. J’avais 19-20 ans, c’était l’opportunité d’expérimenter ce qui est devenu une passion, avant de devenir un métier.J’ai su après les Alpes que je ne travaille-rai pas avec les plantes sèches, mais que je ferai de la distillation. Je suivais une formation en herboristerie pas correspondance ; me manquait la pratique. J’ai loué une maison à Peillac, où j’ai pu cultiver un grand jardin et commencer mes expériences autour des plantes aromatiques, de leur multiplication à leur transformation. J’ai rencontré Olivier ; il avait un projet depuis 10 ans autour des plantes et de la fabrication des huiles essentielles, en Bretagne. Il avait suivi une formation sur les plantes aromatiques, dans le Jura, et travaillait sur la culture des plantes aromatiques chez Yves Rocher. Moi j’avais déjà l’expérience concrète d’une petite activité totalement manuelle, mais pas viable. Lui avait une expérience de culture mécanisée dans les plantes aromatiques et de la conduite d’un tracteur ! On a fait 2-3 ans de test, ensemble, avant de lancer le projet.On a repris la ferme en 2016. C’était une ferme laitière, avec également un poulailler. Un an avant la session de la ferme, le propriétaire s’est engagé à ne plus traiter ses champs, ce qui nous a fait gagner du temps. Car une fois installés, il nous fallait attendre 3 ans supplémentaires avant de pouvoir réellement récolter ; dont les deux ans de conversion en AB. En attendant, nous avons heureusement pu travailler avec le stock des plantes récoltées dans les Alpes, et celles du jardin de Peillac qui lui était certifié bio depuis longtemps.On s’est d’abord concentré sur la lavande, et sur les vivaces qui mettent environ 3 ans avant de donner leur première récolte. On a ensuite fait des analyses de nos produits en laboratoire et les avons décrypté avec l’aide d’un pharmacologue : le résultat est très proche de ceux obtenus avec des plantes qui ont poussé dans le sud. Notamment sur la lavande !Le défi pour nous, c’est de cultiver des plantes qui ne sont pas forcément de notre terroir, pour qu’elles s’adaptent au milieu, qu’elles donnent une récolte intéressante, et une analyse intéressante.Par exemple, l’huile essentielle de lavande fine contient environ 150 molécules différentes, soit 150 principes actifs. Dont du camphre, qui peut être irritant pour la peau si le taux est trop élevé. Il doit être en dessous de 0,5%. Ce taux de camphre peut dépendre de la variété de lavande ; du stade de maturité ; si la plante est séchée ou distillée en frais ; et du temps de distillation, qui peut varier de 1h à 5h selon les plantes… Tous ces paramètres font varier l’analyse. Le pharmacologue avec lequel on travaille nous conseille sur la qualité de nos analyses et nous en déduisons un choix de variété, ou la maturité à laquelle récolter par exemple.Pour le premier essai de sarriette, après deux ans de culture, on a réalisé l’ana-lyse ; il manquait la molécule « première » de la sarriette, le carvacrol, qui lui donne ses propriétés antibactériennes, antivirales, antifongiques. Donc : on ne pouvait pas l’utiliser et encore moins la commercialiser. Alors dans ce cas, retour à 0 ! on change de variété, on multiplie, on cultive, on récolte, on distille, on analyse et on attend avec suspens le résultat ! Ce métier, c’est une expérimentation permanente et infinie face à la diversité de plantes que l’on peut cultiver.

Les analyses sont-elles obligatoires ?

Une huile essentielle peut être répertoriée comme produit alimentaire, complément alimentaire, produit cosmétique ou médicament. Nous, on a choisi la mention « produit alimentaire », la plus simple, qui ne nous oblige pas à faire des analyses. Mais on choisit de les faire, pour connaître leur réelle efficacité et garantir leur composition. Un hydrolat 100 % pur et sans conservateur est autant cosmétique que alimentaire. Une huile essentielle analysée, 100 % pure et naturelle, vendue avec le conseil de personnes averties : elle est aussi autant alimentaire que cosmétique.

Vous produisez toutes les plantes que vous distillez ?

Oui, c’est l’objectif de notre démarche. Partir de la graine pour arriver au produit fini. Seul 2 d’entre elles ne sont pas encore totalement produites sur la ferme : la rose, que nous n’avons plantée qu’au printemps dernier, et l’hélichryse, que nous n’avons pas encore en quantité suffisante. Ces deux plantes viennent de chez deux amis, dans les Alpes, qui travaillent en bio à une échelle comparable à la notre.

Vous proposez combien de références aujourd’hui ?

On a 23 références d’huiles essentielles ; ce qui représente 10 ans de travail. Les essais de camomille romaine ont commencé dans mon jardin ! Chaque année, on lance une 10aine de nouvelles expérimentations. Si une ou deux aboutissent : on est content ! On veut avoir une gamme assez vaste, pour avoir une gamme d’action assez vaste aussi.

Qu’entends-tu par « gamme d’action » ?

Tout le monde connaît les huiles essentielles de tea tree, niaouli, ou de ravintsara. Ce sont des plantes qui viennent de l’autre bout du monde, souvent récoltées par une main d’œuvre mal payée et dans les conditions que l’on connaît. Le laurier noble, ou la sarriette des montagnes, lorsqu’on les analyse, contiennent des molécules similaires et ont des actions qui peuvent s’y substituer ! Et elles peuvent pousser ici. Autre exemple : la monarde à géraniol, qu’on sélectionne souvent comme plante ornementale, contient plus de 90% de géraniol. Elle peut avantageusement remplacer une autre plante exotique : le palmarosa.

Votre travail est aussi de sensibiliser à l’utilisation d’huiles essentielles fabriquées à partir de plantes qui peuvent pousser ici ?

Oui ! Il y a peu de traçabilité sur les plantes utilisées dans les huiles essen-tielles, et beaucoup de spéculation. C’est une des raisons qui m’ont fait choisir les huiles essentielles. Acheter des légumes en local, c’est OK pour la plupart des gens désormais. Mais pour les cosmétiques, le réflexe est beaucoup moins évident.

Quel est votre objectif de développement ?

Pouvoir proposer une gamme de 30 à 40 huiles essentielles fabriquées à base de plantes locales. On aimerait, cette année, parvenir à se sortir un salaire chacun ; et, à terme : sortir 3 salaires pour 3 associés, et diluer les charges administratives. Nous avons actuellement une marge de progression, avec notre outil de travail actuel ; nous n’avons pas de projet d’agrandissement. On a déjà passé le cap, l’année dernière, de parvenir à payer chaque mois nos emprunts, nous en sommes contents mais il reste des marches à gravir.

Déjà ?

Nous avons acheté nos terres en GFA, Groupement Foncier Agricole, l’équi-valent de la SCI pour l’immobilier, mais en agricole. Avant de s’installer, on a mis 4 ans à trouver des terres… On a été confrontés à la SAFER, aux prix inaccessibles des terres agricoles ; un agriculteur doit souvent payer des emprunts toute sa vie ; quand il part à la retraite et qu’il vend : il veut vendre cher, pour en retirer quelque chose, payer les frais de notaire. Le GFA qui a acheté nos terres est composé de 96 associés-citoyens. Nous, nous ne sommes que locataires. Si nous arrêtons notre activité : d’autres que nous peuvent reprendre, sans frais de notaire, et sans spéculation foncière. Avec la garantie que les terres restent en bio, ce qui est dans les statuts du GFA.La ferme fait 22ha. Nous en utilisons 10 pour les plantes aromatiques, en faisant de la rotation de cultures. Aujourd’hui, il y a également deux collègues paysans-boulangers qui cultivent une partie des terres, mais il y aurait la place pour quelqu’un qui souhaiterait s’installer en cultures de plein champs -céréales, légumineuses, ou oléagineux, pourrait nous rejoindre. Si, demain, quelqu’un a un projet, avec les pieds sur terre : il n’aura pas à se confronter au même parcours que nous pour s’installer. Il faut par contre un projet compatible avec ce système de rotation. Un projet en permaculture : ça ne peut pas marcher par exemple.Il y a de la place pour d’autres projets, tout en ayant des activités séparés. Actuellement, une personne se lance dans un projet de production de plantes carnivores, dans un espace-test, dans une partie de la serre. Il y a également Mathieu, menuisier, qui est en train de construire son prototype de Tiny House (petites maisons écologiques sur roues), qui se lance dans cette activité, et qui a besoin d’une surface d’atelier de 300 m2. Dans les deux années à venir, l’idée est de démanteler le poulailler, pour y construire une serre, et un atelier. Plus on sera nombreux, plus on pourra animer le lieu, tout en facilitant l’installation. Et réhabiliter ce lieu, qui a souffert de l’intensification agricole. En convertissant ces 22ha en bio ; on a également planté 800 mètres linéaires de haies brise-vent. Et recréé 1500 m de talus avec Breizh Bocage. Pour lutter contre l’érosion des sols. Et recréer des champs à taille humaine

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