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Voyage en Terre Bio : Jean-Yves Fillatre, arboriculteur à Macey

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Avec ces premières plantations de pommiers certifiés AB dès 1987, Jean-Yves Fillatre est l’un des pionniers de l’arboriculture bio dans l’Ouest. Toujours en quête de nouvelles variétés de pommes, l’homme cultive sa terre depuis 35 ans, à la recherche du « verger idéal ».

Comment vous êtes-vous lancé dans l’arboriculteur bio ?

Ma famille est dans l’agriculture depuis cinq générations, à Macey dans la Manche, près du Mont Saint Michel. Dans les années 60 – 70, mes parents installés en polyculture – élevage laitier, avaient déjà entamé une réflexion sur le bio. Mais aucun cahier des charges n’existait. À l’époque, les réunions dominicales en famille étaient animées par les réflexions de penseurs comme l’autrichien Rudolf Steiner, qui a posé les bases de la biodynamie. Mes parents ont mené plusieurs expérimentations en « bio », mais à l’époque les circuits de distribution n’existaient pas, à l’exception des magasins la Vie Claire. Économiquement, le modèle n’était pas viable pour eux : une partie de leur production en bio était réintégré dans le circuit standard. Ensuite, quand j’ai repris la ferme, j’ai absolument voulu développer un modèle plus respectueux de l’environnement. Sans cela, je n’aurais pas fait ce métier. Je ne voulais pas faire d’élevage. J’ai participé à un chantier de plantation d’un verger et cela m’a plus ; j’ai ensuite démarré l’arboriculture en 1987.

Quand vous avez débuté en 1987, existait-il un cahier des charges du bio ?

Le label a été créé officiellement en 1985. Mon verger de pommes à couteau a obtenu la certification Agriculture Biologique en 1988. Pour les arboriculteurs, le passage en bio a été particulièrement difficile car les arbres fruitiers sont très sensibles aux maladies. Du coup, nombre d’entre eux ont d’abord travaillés avec des cahiers des charges intermédiaires, qui autorisaient certaines molécules chimiques. Mais ça n’a jamais été mon cas. J’ai lancé mon activité à peu près à la même époque que l’ouverture du premier magasin Biocoop Scarabée (ndlr : en 1983) boulevard de Chézy à Rennes. Je m’en souviens encore, on devait enjamber les caisses de légumes pour y circuler ! Aujourd’hui, quand je pars livrer 4 tonnes de pommes pour approvisionner le magasin Biocoop de Lannion, je réalise le chemin parcouru.

Diriez-vous que travailler en bio, c’est plus difficile ?

Sur un verger, il y a 6 à 7 maladies qui peuvent totalement ravager une récolte. On en a fait l’expérience en 2000. La tavelure (ndlr : un champignon qui altère les feuilles et les fruits) s’est installée sur le verger, puis les acariens, les pucerons… On a tout perdu. L’année suivante, le verger n’a rien pu donner. Cette épreuve nous a fait redéfinir notre système. On a revu nos méthodes de lutte contre la tavelure, on a greffé des variétés plus adaptées au bio : la Topaz, la Dalinette, la Pilot, la Suntan… On a également installé une station météo. La bio demande de s’adapter et s’interroger sans cesse.

Que demandez-vous à vos pommes ?

L’arboriculture chimique sélectionne ses variétés en fonction d’impératifs marketing et de rendement, sans tenir compte des capacités de résistance aux maladies. La pomme doit s’adapter aux exigences du marché. La logique du bio n’a rien à voir : l’exigence de rendement est moindre, celle du goût est supérieure. L’ordinaire ne suffit pas. Il faut que la pomme soit gustativement excellente et surtout qu’elle soit rustique et résistante car nous utilisons beaucoup moins de traitements. Cela explique pourquoi les variétés sont différentes entre un magasin bio et un supermarché.

Vous avez participé à la création d’une nouvelle variété de pommes, baptisée la Reinette Ducasse. Que recherchez-vous en pratiquant la sélection variétale ?

On cherche à créer des pommiers parfaitement adaptés aux exigences du bio. Je me suis lancé dans la sélection variétale avec un ami habitant dans le Nord de la France, qui travaille au Verger Conservatoire Régional du Nord Pas-de-Calais. Je travaille également avec un centre de recherche agronomique bio de Wallonie (Belgique) ainsi qu’avec des groupements de producteurs régionaux bio. Nous réalisons de manière participative des hybridations et de la sélection variétale. C’est à la fois extrêmement grisant et indispensable. En bio, le schéma de croisement est souvent le même : on mixe une variété ancienne et une plus récente, pour tenter d’obtenir le meilleur des deux variétés ! Notre « Reinette Ducasse » est un croisement entre une variété française goûteuse, difficile à cultiver en bio : la « Reine des Reinettes » et une variété des pays de l’Est, la « Rubinola ».

Selon vous, qu’est-ce qu’un verger idéal ?

C’est d’abord le fruit de réflexions menées depuis 35 ans. Selon moi, il s’agit d’être le moins dépendant possible de l’irrigation, d’utiliser des pommiers sur propres racines ou avec des porte-greffes* forts pour qu’ils n’aient pas (ou peu) besoin d’être soutenus par un palissage. Il s’agit idéalement de choisir des variétés capables de réguler seules leur fructification (ndlr : quand la fleur devient fruit). C’est le cas de la Reinette Ducasse : l’arbre produit des fruits en fonction de ce qu’il peut nourrir et supporter. A l’inverse, en arboriculture chimique, la fructification est régulée par des produits chimiques. En bio, lorsque l’arbre ne se régule pas, on passe manuellement supprimer les petits fruits qu’on estime en excès.

Vous avez également introduit des animaux sur certaines parcelles. Pourquoi ?

Dans la nature, un environnement 100% végétal n’existe pas. Il est nécessairement entouré d’un écosystème plus complexe, avec des animaux. En 2005, j’ai voulu tester par moi-même l’intérêt en introduisant des poules, des oies et des moutons en liberté, autour des pommiers. Et on a remarqué des améliorations. Par exemple, comme les fruits gâtés et tombés à terre sont mangés, cela évite aux larves de parasites de se développer. Puis, progressivement j’ai stoppé les moutons et à la place, j’ai introduit une race de cochon herbivore, le « Kuné kuné » qui consomme davantage les graminées et permet de conserver dans le verger davantage de plantes à fleurs. Leur présence est importante car les insectes qui les butinent se nourrissent aussi des insectes qui endommagent les vergers.

Pour vous, qu’est-ce qu’une agriculture paysanne ?

C’est une exploitation à taille humaine où l’agriculteur maitrise le circuit de distribution de ses produits. C’est la notion de circuit court. Depuis 2012, je propose la vente en direct, en distributeurs automatiques, à l’entrée de la ferme. J’écoule ma production en direct dans les magasins Biocoop de Bretagne et Normandie. Aujourd’hui, nous produisons entre 150 à 200 tonnes de pommes, réparties sur 11 hectares. Il y a dix ans, on était plutôt sur 220 à 250 tonnes, mais on a du replanter des arbres pour renouveler le verger. En bio, selon les variétés, un verger peut tenir largement plus de 30 ans. En arboriculture intensive, l’espérance de vie est souvent inférieure à 15 ans.

Travailler en circuit court, avec Biocoop Scarabée, qu’est-ce que cela permet ?

Biocoop Scarabée, c’est le client idéal. Dans notre relation commerciale, il n’y a pas de spéculation, les prix ne sont pas indexés sur les cours du marché. On établit un prix juste, qui convient au magasin et au producteur. En conventionnel, il arrive régulièrement que les producteurs vendent à perte, à cause des cours du marché. On est donc sur un commerce équitable. A contrario, on ne fait pas flamber les prix pour le consommateur. Cela fonctionne dans les deux sens. Les magasins bio sont également plus ouverts à l’innovation variétale. Si le produit est bon, ils vont le prendre. En supermarché classique, il est impensable d’arriver en proposant une variété qui sort des standards.

Que pensez-vous du modèle agricole que promeut la PAC ?

Le modèle actuel de la PAC n’est pas du tout adapté à l’agriculture paysanne. Les critères d’attribution n’incluent pas les petits producteurs bio. Actuellement, elle subventionne plutôt les plus gros pollueurs et maintient en vie un système incapable de fonctionner seul. En arboriculteur, pour être aidé par la PAC, il faut faire partie de grosses coopératives et cela ne correspond ni à notre modèle, ni à notre vision.

Êtes-vous inquiet vis-à-vis du changement climatique ?

Quand je discute avec d’autres arboriculteurs, on ressent de l’inquiétude. Les problématiques varient selon les géographies : en Lorraine, les épisodes de gelées s’intensifient. Il gèle une année sur deux, contre une année sur six il y a dix ans. Ici, ce sont les étés qui inquiètent. Je réalise 60 % de mon tonnage avec une variété qui s’appelle la Cox Orange. Une pomme bien adaptée à notre terroir, qui n’aime pas la chaleur. Si les épisodes de canicule s’intensifient, on sait déjà qu’on ne pourra pas la poursuivre.

* porte-greffe : arbre sur lequel on implante un greffon

Photos et entretien réalisés par Céline Cadiou, journaliste indépendante. Co-rédaction des questions Isabelle Uguen-Gaignon, rédactrice à Biocoop Scarabée.

 

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