Depuis 2000, Cécile et Christian Mogis sont éleveurs de vaches laitières en bio à Pacé. Ils y produisent également des veaux, vendus en direct à Biocoop Scarabée. Leur modèle d’élevage promeut l’autonomie alimentaire, avec une alimentation basée essentiellement sur du pâturage. Une approche économe en ressources et durable pour la planète.
Cécile et Christian Mogis, depuis quand êtes-vous installé en bio, à Pacé ?
Christian : Je me suis installée en 1989 sur la ferme familiale. En 2000, Cécile m’y a rejoint et nous nous sommes associés. Depuis, nous y vivons avec nos quatre enfants. Quand j’ai débuté avec mon frère en 1989 sur la ferme de nos parents, lui était déjà sensibilisé à la bio. Moi, en sortant d’école d’agriculture, j’avais plutôt des apriori… et puis, j’ai voulu m’y confronter, un peu par défi. J’ai suivi une formation et suis totalement tombé des nues, j’ai eu le sentiment que l’enseignement reçu précédemment m’avait fait passer à côté de l’essentiel : la maitrise des sols et leur amélioration. Avec mon frère, nous avons converti la ferme en bio, terres et troupeau en 1991.
Cécile : Nous sommes éleveurs de vaches laitières. Nous possédons 93 hectares de terres et élevons 72 vaches, de races mixtes : Montbéliarde, Brune des Alpes et Rouge Scandinave. Les races dites « mixtes » sont à la fois réputées pour la qualité de leur lait et de leur viande. Notre production principale est le lait bio que nous revendons directement à l’industriel Triballat situé à Noyal-sur-Vilaine. Il est ensuite valorisé en produits laitiers dans différents circuits de distribution : en grande-surface avec la marque Vrai et en magasins bio, avec la marque Tante Hélène.
Comment avez-vous composé ce troupeau ? Pourquoi avoir choisi ces races ?
Cécile : Nous avions initialement un troupeau d’Holstein, la vache « standard » de l’élevage laitier car elle a une bonne productivité laitière. Mais nous ne voulions pas de cette race et, peu à peu, avons introduit des Montbéliardes, des Brunes des Alpes et des Rouges Scandinaves, jusqu’à obtenir au bout de neuf ans un troupeau bigarré. Nous ne voulions pas de pure race, souvent plus fragile et sensible aux maladies. Nous avons désormais un troupeau rustique, endurant et très joli !
Vous commercialisez en direct auprès de Biocoop Scarabée de la viande de veau, vendeu sur les étals des boucheries de Saint-Grégoire, Cleunay, Cesson-Sévigné, Bruz et à Rennes (rue Papu). Que pouvez-vous nous dire de cette production ?
Cécile : Pour faire nos veaux, nos vaches sont inséminées avec une semence de race à viande bleu, blanc, belge. Cela permet d’obtenir des animaux avec des arrières trains bien formés, mieux valorisables auprès des consommateurs. Durant quatre mois, ces veaux sont nourris en 100 % lait entier, extrait deux fois par jour lors des traites. Une fois nés, les veaux restent entre 24 et 48h avec leur mère. Le temps pour eux de recevoir du lait maternel, chargé en colostrum, pour développer une immunité. Ils sont ensuite placés en case individuelle durant une semaine puis en case collective sur paille, durant plus de trois mois. Auparavant, on laissait les veaux avec leur mère dans le troupeau, mais il est arrivé qu’on ne les retrouve plus dans les pâtures…
Qu’est-ce que ça change de les nourrir en lait entier ?
Cécile : Dans le commerce habituel, même avec un Label Rouge, les veaux sont nourris avec de la poudre de lait. Dans le meilleur des cas, il consomme du lait de vache, mais dans l’industrie, il est autorisé d’intégrer des matières premières végétales. Aussi, les nourrir au lait entier assure une plus grande tendreté de la viande. Cela a évidemment une incidence sur sa qualité.
Commercialisez-vous vos veaux dans d’autres filières ?
Cécile : Oui. Pour qu’une vache laitière produise du lait de façon continu, en volume et qualité, il faut qu’elle mette bas un veau à peu près chaque année. Nos autres veaux, qui ne sont pas en race bleu blanc belge rejoignent le circuit de vente classique car il n’existe pas de filière de veau bio. La tendance actuelle est à la baisse de consommation de viande et le veau suit cette tendance. On traverse actuellement une crise, notamment pour les veaux Holstein qui sont trop nombreux et peu valorisables car c’est une race laitière et non à viande. Avec nos veaux de races mixtes, les prix se maintiennent un peu mieux mais cela reste un marché difficile. Depuis 2011, nous vendons aussi nos veaux en direct sur la ferme en caissette de 8 à 10 kg.
Vous venez de créer une charte de qualité pour valoriser un lait bio « local & équitable », vendu sous la marque Tante Hélène. Parlez-nous de cette victoire.
Christian : C’est une victoire remportée avec 49 éleveurs de l’association de producteurs de lait bio de Triballat. Cette charte de qualité, qui va au-delà des exigences du label bio, a mis plus de 10 ans à voir le jour. Par exemple, elle exige que les vaches passent au minimum 220 jours de pâturage. Quant aux compléments (céréales…), ils doivent obligatoirement être produits en France. Nous avons défendu nos valeurs et avons aussi obtenu un juste prix pour notre lait. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, les prix du lait bio chutent. Cela nous permet de nous démarquer.
Votre logique est de développer l’autonomie sur votre ferme, notamment vis-à-vis de l’alimentation de vos bêtes. Pourquoi ?
Christian : La logique de l’élevage bio est de nourrir les bêtes avec les ressources de la ferme, en priorité grâce à nos pâturages : c’est la vocation de nos 70 hectares de prairies. Nos vaches se nourrissent majoritairement à l’herbe : pour qu’elles aient une ration alimentaire équilibrée, gage de la qualité du lait, il faut obligatoirement qu’elles consomment dans la prairie à la fois des légumineuses (luzerne, trèfle blanc ou violet) et des graminées. Cela demande donc de parfaitement maitriser la qualité des sols. Développer l’autonomie alimentaire des bêtes répond aussi à une logique économique : si on fait appel à des ressources extérieures pour compléter leur ration, notamment en protéines (soja), cela coute très cher car cela doit se faire en bio. Depuis que nous sommes certifiés AB, nos vaches ne consomment pas de céréales. On équilibre leur ration en hiver, quand elles ne pâturent pas, avec des betteraves fourragères, de la luzerne et/ou du maïs déshydratés, produits sur la ferme.
Pourquoi vos vaches ne consomment pas de soja contrairement à un élevage classique ?
Christian : En élevage classique, les bêtes sont nourris en partie avec de l’ensilage de maïs ou du tourteau de soja, qui permettent d’avoir de bons rendements laitiers. Selon moi, c’est du gâchis autant qu’une aberration environnementale. Il faut savoir que la Bretagne (comme la France), sont totalement dépendantes de ces importations de soja destinées à la consommation animale. Or ce soja, majoritairement d’origine brésilienne (et transgénique), participe directement à la déforestation massive de la forêt amazonienne.
Travailler en bio, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Christian : C’est le respect de la terre. Quand nous nous sommes installés dans les années 90, on n’osait pas boire l’eau du robinet, pleine de nitrates et de pesticides, conséquence directe de l’élevage intensif et des monocultures. Notre combat de l’époque était d’imaginer reboire l’eau de nos nappes phréatiques. Est-ce le cas aujourd’hui ? Je ne répondrai pas à la question…. La bio redonne aussi au paysan son autonomie. Personne ne vient dire comment faire. Par contre, cela ajoute de la complexité et plus de travail ; il faut toujours trouver des alternatives, on doit désherber plus régulièrement, le plus souvent manuellement. Mais la satisfaction d’imaginer transmettre une ferme avec des sols sains est inestimable.
Que pensez-vous de la PAC ? Et de la réforme de celle-ci ?
Christian : Quand nous nous sommes installés, nous avons reçu des aides à la conversion. C’était vital car les premières années, quand on arrête les traitements, les rendements diminuent. On tâtonne aussi sur la partie agronomie. Mais de manière générale, la PAC actuelle est une aberration, qui subventionne les grandes cultures comme le maïs et n’incite pas le retour des animaux aux prés. Quant à la réforme de la PAC qui vient d’être validée pour 2023-2027, c’est presque pire. Les lobbys de l’agro-industrie ont poussé à la création d’un label HVE qui n’est porteur d’aucune réelle amélioration du modèle agricole. Ce qui est dramatique, c’est que les acteurs certifiés HVE vont recevoir de nouveaux crédits, au détriment des aides qui étaient jusque-là attribuées au bio ! Le HVE va pomper les crédits du bio, ni plus ni moins.
Quel modèle agricole défendez-vous ?
Cécile : Une agriculture où le paysan reste maître de son outil de travail. Notre souhait est de retrouver au maximum la maîtrise de la transformation et distribution de nos produits. Nous avons par exemple un projet de valorisation de nos cultures de colza, pour faire de l’huile qui sera transformée localement et vendue via un groupement de producteurs. Cette transformation permettrait également de produire des tourteaux de colza, que l’on pourrait introduire en complément protéiniques dans la ration de nos vaches. On voudrait faire la même chose avec le blé, en créant des unités de stockage fermier, en gérant la transformation en farine et en vendant en circuit-court. Et pourquoi pas redévelopper les ventes à la ferme. On a encore de nombreux projets !
Photos et entretien réalisés par Céline Cadiou, journaliste indépendante. Co-rédaction des questions Isabelle Uguen-Gaignon, rédactrice à Biocoop Scarabée.