Frédéric Etienne est coordinateur de l’équipe charcuterie Pique-Prune. Installée au labo de la rue des Maréchales, ZI des Trois Marches, à Vezin-le-Coquet, l’équipe prépare la quasi-totalité de la charcuterie proposée dans les rayons « boucherie » de nos magasins, et une partie de l’offre charcuterie proposée en libre service. Un travail artisanal exigeant, qui part de la matière brute jusqu’au produit fini ; un travail de l’ombre, aussi, pour une équipe qui n’est pas en contact direct avec la clientèle, et que nous avions envie de vous faire découvrir à travers cet échange avec Frédéric.
Quand as-tu commencé à travailler à Scarabée ?
En 2010. Je travaillais chez mes parents, qui avaient une boucherie-charcuterie traiteur. Mon père arrivait à l’âge de la retraite, il a mis son magasin en vente. J’ai hésité à reprendre. Mes beaux-parents ont vu l’annonce de Scarabée. J’étais déjà dans l’artisanat, dans le traditionnel ; c’est l’offre qui a fait que je suis arrivé dans le bio. Au premier entretien, on m’a dit qu’il s’agissait de faire une gamme charcuterie. Ce qui m’a attiré, c’était de partir de « 0 », il y avait une gamme entière à faire.
J’ai commencé tout seul, à Cleunay ; pour arriver aujourd’hui à un labo qui livre l’ensemble des magasins ; c’est un beau projet !
Par quoi as-tu commencé ? Quelles étaient tes priorités dans la création de cette gamme ?
Il y avait les trois gros magasins au départ et j’étais tout seul ; j’ai commencé une gamme en fonction de la place que j’avais au début pour travailler ; entre le labo boucherie du magasin de Cleunay, où je faisais les découpes et les préparations, et les cuisines du restaurant, où je faisais les cuissons. J’avais un four réservé le mardi, au restau, pour la cuisson des pâtés. J’utilisais la cuisine un peu avant l’arrivée de l’équipe restaurant, et après le service ; la cuisson du jambon se faisait la nuit. Ce n’était pas facile au début, car il n’y avait pas beaucoup de place ; ça s’est déficelé en peu de temps, que ce soit avec Mickaël (ndlr : Nocquet, boucher à l’époque), et Stéphane (Dubreil, responsable du restaurant de Cleunay). Il y a eu une cohésion entre nos trois secteurs en une semaine. Chacun s’entraidait, dans le peu de temps disponible qu’il avait.
J’ai commencé par le jambon, la saucisserie, les terrines, les produits fumés, le jambonneau, le boudin blanc, la découpe de porc ; et on a agrandi la gamme quand on a emménagé au labo de Vezin. Moi, ce que je veux, c’est partir d’un produit brut pour arriver à un produit fini. C’est ça le travail de charcutier.
As-tu découvert une manière particulière de travailler en bio ?
Ce qui est bio, c’est la qualité de la viande, la qualité des ingrédients ; mais la façon de faire reste la même. J’ai toujours fait de la charcuterie au naturel. Je n’ai jamais utilisé de mélanges d’épices tout-faits, par exemple. Sel et poivre restent la base.
Avec quels fournisseurs travailles-tu ?
Au début avec Erca Bio, basé à la Gravelle (53) ; puis avec la coopérative Bio Direct, basé à Louvigné du Désert (ndlr : groupement de producteurs sociétaire de Biocoop, sous logo « paysan.ne.s associé.e.s »), quand Biocoop a commencé à travailler avec eux. C’est notre principal fournisseur. Nous travaillons aussi avec Julien Sauzé, de la Ferme Pradenn, éleveur de porcs et de bovins à Melesse. Il travaillait déjà avec la plate-forme Biocoop dont il récupérait les légumes pour ses bêtes. C’est comme ça qu’il a appris que Pique-Prune faisait de la charcuterie. Il est venu vers moi. Et Mickaël (référent boucherie) a commencé à s’approvisionner en bovin aussi chez lui.
Comment se passent les relations ?
On a une très bonne relation. Nous sommes très bien accueillis à chaque fois que nous allons sur sa ferme. Cela lui tient à cœur de travailler en local et en circuit court. Ils sont portés sur la bio de père en fils, chez eux… Les magasins prennent aussi le cidre chez lui.
La charcuterie Pique-Prune propose depuis peu du jambon sans sel nitrité : tu peux nous parler de ce projet ? D’où est-il parti ?
De l’émission Cash Investigation, d’Elise Lucet, diffusée il y a au moins trois ans (ndlr : septembre 2016). Derrière, il y a eu beaucoup d’interrogations des clients aux rayons « boucherie ». L’émission a fait du mal : elle tapait sur le métier complet, industriel comme artisanal.
Avant le sel nitrité, c’était le salpêtre qui était utilisé dans le façonnage du jambon. Le sel nitrité, c’est ce qui a été trouvé en termes de couleur et de conservation pour trouver une solution de remplacement.
(…) L’étude mise en avant dans l’émission se basait sur des personnes qui, pendant huit jours, ne mangeaient que de la charcuterie… ça m’a gavé, moi. D’autres études montrent que dans les pays nordiques, il y a plus de cancers colo-rectaux alors qu’il n’y a pas de sel nitrité. Je voulais prendre le temps de faire les choses. On a réalisé plusieurs essais, plusieurs tests. Ce n’était pas joli, le jambon était verdâtre autour. Même si on était bon au niveau du goût.
Pour moi, c’est important que le jambon garde un peu de rose, même s’il y a de l’info à faire passer sur le fait que la couleur naturelle du jambon : c’est gris ! Comme lorsqu’on cuit un rôti de porc chez soi. Dans notre nouvelle recette de saumure, il y a du sel, et des ferments de légumes. Le sel comme conservateur ; les ferments de légumes apportent la couleur ; on arrive à un rose, mais plus pâle.
Maintenant qu’on a trouvé la bonne recette de saumure, l’idée est désormais de passer toute la charcuterie Pique-Prune en sans sel nitrité. Pour éviter des risques de croisement entre les produits sans sel nitrité et avec, et donc, des risques de traces. Le plus long dans ce projet, désormais : c’est l’étude de vieillissement. Mais on sait que cette nouvelle recette ne va pas forcément raccourcir la durée de vie du produit.
Combien êtes-vous dans l’équipe charcuterie, et comment travaillez-vous ?
Nous sommes six charcutiers. Tout le monde fait tout, les six connaissent toutes les tâches à faire. Cela permet un roulement, évite la rengaine ; permet de faire monter tout le monde en compétence : et c’est plus facile, pour se remplacer, durant les vacances ! Seule exception : la « casse » et la découpe, plus dures physiquement, sont confiées aux plus jeunes.
Quels sont les rapports entre vous ?
Nickel. Il y a de l’autonomie et du travail en équipe. J’aime bien être dans la partie « formation » ; si j’ai à faire à une personne motivée, même si elle doit apprendre certaines choses sur le tas : ça avance tout seul. (…) Je fais partie du jury d’examen sur le CAP Charcutier-traiteur. Je me dis souvent que ce n’est pas possible… que si certains venaient frapper à ma porte, je ne les prendrais pas. Ce sont des métiers où il faut se lever de bonne heure, travailler dans le froid ; il n’y a plus personne à vouloir faire ça.
Un membre de l’équipe doit partir cette année, vous cherchez quelqu’un ?
Oui ! Une personne amoureuse de son métier, qui a envie de faire quelque chose de bien, qui aime travailler en équipe et qui veut s’investir.
Vous avez la particularité de n’être jamais en contact avec les clients, cela ne te manque pas ?
Nous sommes habitués à être toujours dans l’ombre, on s’y habitue vite. C’est un monde à part, c’est le métier qui veut ça. Ma clientèle : ce sont les bouchers, tous les matins, qui nous font les retours des clients. Ce sont les bouchers nos clients.
Tu aurais envie de partager, de dire quelque chose de particulier aux clients ?
On a un travail manuel ; on n’a pas de machines. Ce qui fait qu’on peut avoir le droit à l’erreur. Comme des petits bouts d’os, dans le boudin noir. Tout est fait à la main. Les clients remontent les infos aux bouchers, qui nous font ensuite les retours. Mais on veut rester dans le traditionnel. C’est ce qui fait la qualité de nos produits.